À la Libération, lorsque le système de retraite généralisé pour les salariés a été institué, il a été demandé aux professionnels libéraux des professions juridiques et médicales d’organiser leurs propres systèmes de retraite ; il s’agit donc non pas des fameux « régimes spéciaux » tant décriés – qui sont des spécificités au sein du régime salarié général -, mais de régimes « particuliers », propres à une profession d’indépendants.
Le régime des retraites des avocats est parfaitement autonome et, non seulement il ne coûte rien à la collectivité, mais encore verse-t-il chaque année au régime général environ 90 millions d’euros – soit tout de même environ 1.300 € par avocat !
Le projet de réforme des retraites actuellement discuté a pour objectifs affichés de loger tout le monde à la même enseigne, au sein d’un régime unique (sauf pour les forces de l’ordre, les pilotes d’avions, les danseurs d’opéra, peut-être d’autres à venir ?), quelque soit le mode de rémunération, et qu’un euro cotisé ouvre les mêmes droits à tout le monde.
Le problème pour les avocats, c’est qu’alors que les cotisations des salariés sont constituées de la part salariale et de la part employeur – pour un total de l’ordre de 28% du salaire -, pour acquérir le même nombre de points, les avocats libéraux (une très petite partie de la profession est salariée d’autres avocats) devraient cotiser à 28% de leurs recettes, soit le double de ce qu’ils cotisent actuellement, pour en plus percevoir une retraite significativement plus faible que leurs droits actuels.
Compte-tenu des autres charges sociales et des frais généraux auxquels ils doivent faire face, une telle augmentation ne pouvant économiquement être répercutée sur les honoraires, les cabinets les moins importants seraient condamnés à une mort certaine, seuls les gros cabinets d’affaires, aux marges beaucoup plus importantes, pouvant espérer survivre.
C’est un problème grave pour les avocats, mais c’est aussi un problème pour les justiciables et la démocratie : ce sont les avocats individuels ou en petites structures qui, acceptant l’aide juridictionnelle (faiblement rémunératrice) et pratiquant des honoraires plus modérés que les grosses structures, permettent l’accès effectif des citoyens au droit et à la défense en justice.
L’incorporation des avocats au régime général aurait prévisiblement pour effet de raréfier drastiquement le nombre de cabinets accessibles économiquement aux moins aisés, les laissant face à ceux – entreprises commerciales notamment – qui auront toujours les moyens de payer les honoraires des cabinets d’affaires.